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Une histoire de pêche au thon pas comme les autres

Nous sommes au mois d’août 2020 (sûrement un mercredi soir, jour de mi-temps), avec mon chéri Cyril, mon beau-frère Christopher et un ami Joris, nous discutons pêche (pour ne pas changer) et surtout matériel de pêche au thon rouge au leurre de surface, bonne bouffe et bonne boisson. Étant de bons vivants, l’ambiance est bonne et chaleureuse.
Les récits habituels sur les poissons énormes perdus, décrochés ou ayant raté les leurres, fusent à ne plus savoir qu’en faire. Je finis d’ailleurs par ne plus savoir le vrai du faux dans certaines histoires que j’ai moi-même vécues… Quelle tristesse, l’alzheimer me guette ! C’est moche à 24 ans.

La soirée se passe, Cyril s’éclipse quelque temps. Son anniversaire approchant à grands pas, nous réfléchissons au cadeau que nous allons lui offrir pour ses 34 ans.
Tout y passe ! Nouvelle canne à pêche du catalogue pêche au gros de Leurre de la Pêche ? Pas besoin. Nouveau moulinet ? Il l’a déjà acheté. Carte-cadeau Leurre de la Pêche ? Déjà fait… À vrai dire, les idées ne manquent pas, mais rien ne nous emballe vraiment. Nous repartons sur nos histoires de pêche, c’est bien plus distrayant. Christopher nous parle de sa dernière sortie en mer avec Julien Fesseau (Guide de pêche – Cordouan Pêche Évasion). Fiers de ses prises, ils nous montrent 2 ou 3 photos de bars communs et mouchetés pris au leurre sur chasse.
J’ai déjà quelques fois pêché en mer, mais ça ne m’attire pas plus que ça. Je pense m’être fait une idée que les poissons de mer étaient très combatifs. Certes, ils le sont plus que les poissons d’eau douce, mais je n’ai pas été subjuguée par la force des lieus jaunes ni des quelques bars faits dans le port de La Rochelle. De plus, étant malade une fois sur 2, je me sens bien mieux sur mon Float Tube.
Sur ces belles paroles, je décide d’aller me coucher (une vraie petite vieille… pas le poisson), on trouvera son cadeau un peu plus tard.

Le lendemain matin, après une jolie grasse matinée comme je les aime ! Cette histoire de cadeau me trotte dans la tête. On est fin août, son anniversaire est le 2 septembre. Il va falloir passer la seconde ma chère !
À midi, mon téléphone vibre… C’est Christopher, “J’ai pensé à lui offrir une sortie pêche du thon rouge au leurre de surface avec Julien Fesseau. On y va tous ensemble comme ça !” À ce moment-là, je me suis demandé si c’était du lard ou du cochon… Il m’a bien regardé le beau-frère ? Avec mes 50kg toute mouillés et mon mètre 50, il a vraiment cru que j’allais m’atteler à un thon rouge ? Oui.
C’est une idée qui plaira à Joris et surtout à Cyril, j’en suis sûre. Je me dis qu’au pire je m’occuperai du garde mangé de ces thons rouges pendant que les gars s’occuperont d’eux et je valide l’idée.

La préparation de la pêche au thon rouge

S’il y en a bien une de pas sereine dans l’histoire, c’est bien moi. Quelle taille font ces bestioles au juste ? Je serais attachée ? Et si je lâche la canne, ça fait quoi ? N’étant pas du genre à faire du sport, c’est certain, ces grosses bêtes ne sont pas faites pour moi.

Le 2 septembre est arrivé, nous trépignons d’impatience d’annoncer à Cyril son cadeau. Bon, comme d’habitude il a deviné. Il faut dire que nous ne sommes pas les rois de la surprise (surtout moi) mais il est heureux. Est-ce que ça veut dire que je vais vraiment pêcher le thon ? Oui.

On fixera une date qu’on finira par repousser à l’année prochaine à cause d’une sévère tempête annoncée pile le weekend où nous sommes censés partir en mer. Ce n’est que reculer pour mieux sauter pour ma part.

Cette année m’aura laissé le temps de me reposer toujours les mêmes questions mais surtout de me faire à l’idée que je vais en baver, que Cyril va adorer ainsi que Christopher et Joris aussi.

C’est acté nous serons sur le semi-rigide de Julien le 4 septembre 2021, départ du port de Royan à 7h30, retour à “quand on aura fait un poisson chacun”. On ne cherchera pas de gros thons (ouf…), mais on les fera au popper ou au stickbait (yes !).

L’heure de la traque du thon rouge a sonné

pêche du thon rouge au leurre de surface
l’équipe au complet

La semaine de travail se termine, mes inquiétudes face à cette nouvelle pêche se montrent de plus en plus concrètes. Les gars, quant à eux, sont au taquet !

Nous décidons de rester sages cette soirée, veille de grosse journée de pêche. C’est alors que, pour ne pas s’embêter, nous nous sommes offert un magnifique plateau de fromages et de charcuteries de notre fromager préféré. Arrosé d’un bon vin rouge, ce plateau n’a clairement pas fait long feu. Gourmand nous ? Même pas vrai. Notre dicton, comme le dit si bien notre cher Chicandier “Le but c’est de mourir jeune mais le plus vieux possible.”. C’est ça notre analyse.

L’excitation est telle chez certains, qu’ils iront se coucher bien tard pour se réveiller bien en avance malgré tout. Comme à mon habitude de véritable marmotte (ou loutre comme vous voulez), je serais la première couchée et la dernière levée.

Il est 6h du matin, le temps de prendre un café, manger 2 ou 3 madeleines et Go ! 45min nous sépare de notre Fishing Bee, fidèle destrier de Julien.

Il est 7h30 nous retrouvons Julien au port de Royan, en train de préparer le bateau tout en musique. Musique que je valide totalement au passage.

La journée s’annonce très cool ! Une seule inquiétude pour ma part, la taille des cannes et des moulinets. Pas moins de 80lbs pour les cannes et 8000 pour les moulinets Savage Gear SGS8. Mes craintes se confirment, on ne va pas pêcher le maquereau. Julien me rassure, j’aurais la canne la plus légère pour moins en baver. Ça me rassure qu’à moitié à vrai dire. S’ensuit un petit brief sur comment va se dérouler la journée et comment communiquer rapidement.

  • Règle n°1 : Quand Julien dit, “on lève les cannes”, on lève les cannes.
  • Règle n°2 : Pas de panique avant de lancer sur la chasse, mais lance aussi fort que tu es con (s’accorde bien évidemment au féminin).
  • Règle n°3 : Si tu vois une chasse, tu indiques sa position en heure. Apparemment les marins ne connaissent pas leur droite de leur gauche. C’est une blague bien sûr.
  • Règle n°4 : Si t’en peux plus, tu ne lâches pas la canne mais tu la passes à ton voisin (comme le message, tu comprends ?)

Rien de bien compliqué à première vue.

Nous voilà, tous les 5, partis pour 1h de navigation à 36 nœuds. J’apprécie vraiment le moment. Nous passons non loin du phare de Cordouan que je prendrais le temps d’admirer. Il faut dire que j’ai la chance d’habiter une superbe région que ce soit pour le tourisme, son patrimoine et ses possibilités concernant la pêche. La Charente-Maritime, ma préférence. Bon j’avoue, je suis un peu chauvine sur les bords…

L’arrivée sur zone

“Des poissons ! Là, à droite ! MA droite !”

Bref, Emma ne sait pas lire l’heure. Pour les marins, les sardines ont sauté à 15h. Ça paraissait pourtant si simple mais l’excitation (ou la peur, à ce moment-là je ne sais pas trop) a pris le dessus. Notre guide nous donne les cannes en nous disant de faire quelques lancers pour tester le matériel. A vrai dire, je me rends compte à ce moment-là que j’ai beau pas être très futée (pour rester polie), je ne vais pas lancer bien fort. Malgré tout, je me rassure en observant les gars qui ne sont pas tous hyper à l’aise avec de tels ensembles spinning.

A première vue, les poissons n’ont pas trop bougé par rapport à hier. Une bonne chose d’après Julien qui redémarre de plus belle, il voit une autre chasse bien plus importante à quelques mètres. Quelle heure est-il ? Je ne sais pas, j’ai coupé mon téléphone (plus de réseau). Mais devrais-je dire plutôt, à quelle heure ? Je ne sais toujours pas. En face.

Armée de mon Feed Popper que je tente de lancer le plus loin possible, je veux faire mon thon sans le vouloir.

Les lancers se suivent et se ressemblent pour ma part. J’ai franchement du mal à atteindre les chasses et celles-ci ont du mal à tenir. Il faut voir le temps qu’on a aussi ! Grand ciel bleu, pas de vent… C’est pétole et l’eau est d’un bleu profond. Nous comprenons vite que la pêche ne va pas être facile, mais en tant que bons pêcheurs nous ne lâcherons rien. La matinée se passe et toujours pas de poisson. Nous observons toujours quelques chasses mais de plus en plus éloignées et de moins en moins importantes.

Est-ce notre approche qui n’est pas assez discrète ? Est-ce qu’on ne lance pas assez loin ? Est-ce qu’on doit passer sur du stickbait et laisser le popper de côté ? Rien n’est sûr, c’est la pêche.

Les ventres crient famine, nous décidons de faire une pause pour reposer les esprits et se sustenter. Pâté, fromage, jambon, épaule, pain, chips, un petit verre de blanc, une chasse et nous voilà reparti.

Quelques lancers s’ensuivent… Toujours rien, Julien grince des dents. Il repère quelques oiseaux assez loin. Nous n’avons pas grand-chose à perdre et mettons les gaz dans cette direction (je ne sais toujours pas quelle heure il est). En arrivant sur place, rien de bien fou… Quelques goélands posés sur l’eau nous regardent comme s’ils n’avaient jamais rien vu de tel. C’est vrai qu’un bateau jaune, ce n’est pas courant. L’un d’entre eux, marron, attire l’attention de Julien.

“Regarde Cyril, l’oiseau regarde sous l’eau. Il y a des thons qui chassent en dessous, il attend que la bouffe remonte. Lance à côté de l’oiseau, poppe une fois et attend.”
Cyril s’exécute. Il lance. Le popper tombe à côté de l’oiseau. “Pop!…..” C’est dans un grand silence que Cyril a ferré et que nous avons enfin entendu le frein chanter !
Le type connaît bien son affaire visiblement. S’ensuit un combat de titan. Le thon bien plus gros prévu, ce qui bien évidemment ne me rassure pas du tout. Cyril tire sur le poisson tant qu’il peut.

“La bête remonte” nous dit Julien qui scrute la surface et l’échosondeur.
Nous finissons par apercevoir de sublimes reflets bleus dans l’eau. Je crois qu’à ce moment précis, tout le monde a des étoiles dans les yeux. Même Cyril qui en bave un peu quand même, apprécie le moment.

“Attention Cyril, ce n’est pas fini… le thon va repartir !”

“Ziiiiiiiiiii….iiiiii”
Cette satanée bestiole est repartie 15 mètres plus profond en 3 secondes et demie. Sérieusement, je ne savais pas que la sardine donnait autant d’énergie… Pourquoi n’en trouve-t-on pas dans les paquets de céréales ?!
C’est au bout de 10 bonnes minutes que le thon se laisse attraper par Julien. Ça n’aura pas été simple, même si en toute franchise je pensais que le combat allait durer plus longtemps.

thon rouge de 50kg

“Le plus gros de la saison ! Je l’estime à peu près à 50kg.”
Cette bête fait mon poids. Il ne faut clairement pas que je croise le chemin d’un de ces congénères. Autant vous dire que le poisson n’a pas traîné à repartir, mais que Cyril s’est posé quelques minutes lui.

“Chasse à 6h !”
Heureusement Joris sait lire l’heure et Julien fonce sur la chasse ! Je fais un lancer un peu bancal (même s’il reste bien mieux que les premiers), et je poppe… Les gars en font de même.

Pop ! …

Pop ! …

Pop ! …
A deux doigts de relancer, mon popper disparaît. Mon cœur sort littéralement de ma poitrine mais mon instinct de pêcheuse prend le dessus, je ferre !

“Ziiiiiiiiiiiii…..iiiii”

“Je vais lâcher ! La canne glisse de ma jambe ! Je vais lâcher !”
Panique à bord, je me suis faite mal dans l’aine et la bête file à toute allure. Julien saute sur le baudrier pour me soulager et Cyril me tient au cas où je tombe. Il me semble avoir insulté la terre entière en l’espace de 10 secondes à ce moment-là, désolée. Très clairement, le thon fait ce qu’il veut de moi. Je tiens tant que je peux la canne, je tombe, je me cogne dans tout ce qui se trouve sur mon passage (enfin sur le passage du thon).

“Je n’avais pas signé pour aussi gros !”

“On ne choisit pas, c’est la pêche !” me dit Julien en rigolant.

S’il me reste un peu de force après le combat, c’est sûr je l’étripe. J’ai les jambes qui tremblent. Comment un poisson peut-il me mettre autant à mal ?

Malgré tout, au bout de 10 minutes, Julien se saisit du thon qu’il estime aux alentours des 20kg. Je ne savais pas que 13kg de frein sur ce moulinet était si difficile à tenir pour un gabarit comme le mien.

Toutes les douleurs s’effacent un instant, le temps d’observer ce magnifique poisson. Les reflets de la lumière sur ses écailles, les couleurs qu’il porte, sa morphologie, il est superbe.

Je reste sur le cul un moment de savoir ce qu’il vient de m’arriver. D’autres chasses éclatent ici et là. On observe cette fois ci des thons bien plus gros qui sortent tout entier de l’eau. Le spectacle est magnifique. Je sens mon regard changer sur l’animal, même si je ne suis toujours pas prête à m’y frotter. Je laisse volontiers ma place à Joris et Christopher qui sont encore capot.

Cyril, requinqué et bien décidé à en faire un deuxième lancer sur une chasse tandis que je me contente de filmer la scène pour avoir quelques souvenirs (je vous ai dit, l’alzheimer…). Et là en direct, un thon monte sur le popper ! Je suis ravie d’avoir filmé ce moment. Cyril décide de passer la canne à son frère qui se rend bien compte de la force de la bête. Christopher, qui n’était pas vraiment serein, s’en sort plutôt bien avec son poisson. Ce sera le plus petit thon de la journée mais de loin le plus beau. Il portait des couleurs et des reflets splendides.

“A ton tour Joris ! Tu es le chatard de la bande, tu devrais déjà en avoir fait un !”

Joris, c’est sûrement le pêcheur qui pêche le plus en mer de nous 4. Les bars n’apprécient pas de croiser son chemin. Et pourtant, toujours pas de thon pour lui… Le connaissant, il allait forcément faire un poisson à un moment donné. Impossible que notre cher Joris finisse doudoune. IMPOSSIBLE.

Nous restons quelques instants de plus sur une chasse éteinte le temps d’en trouver une autre. Rien ne présage de prendre quelconque touche à ce moment-là. Pourtant Joris, nous fait une Jorissade ! Après le silure à la tête plombée… Le peau-bleu au popper ! Ce n’était jamais arrivé sur le bateau de Julien. Joris l’a fait.

Tonnerre d’applaudissements pour Joris qui, décidément, réalise toujours un exploit !

Ce n’est vraiment pas fin ces bêtes-là ! Julien aura manqué à 2 reprises de se faire mordre par le requin. Aussi petit soit-il (1 mètre environ), sa mâchoire en forme de piège à loup n’inspire en rien confiance.

Le soleil descend de plus en plus bas dans le ciel. Plus personne n’est capot, Julien et nous sommes soulagés. C’est alors que nous décidons de revenir un peu vers la côte.

“J’ai un spot où on peut observer des chasses sur la route du retour. Par contre, ils sont plus gros”
Ok, bah ce ne sera pas pour moi mais qu’importe.

“Chasse à 13h !” (Oui, j’ai appris à lire l’heure entre-temps).

On file droit dessus. Mais c’est un échec… Ce n’était pas une chasse de thons mais un gigantesque banc de dauphins communs. Que rêver de mieux que de terminer la journée sur un tel spectacle ? Le temps de prendre quelques photos et quelques vidéos qu’il est déjà l’heure de rentrer. Nous rentrerons des images et des souvenirs plein la tête. Heureux d’avoir vécu cette journée ensemble avec un excellent guide local.

Merci encore Julien, pour ta sympathie, tes connaissances, ta patience, ta bonne humeur, tes bons goûts musicaux, le petit verre de rhum et cette journée inoubliable.

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